15/02/2014: Mettre le Dépouillement Assisté sous le contrôle des citoyens?
Le système de Dépouillement Assisté par Ordinateur DepAss n’est pas à proprement parler du vote électronique mais cette nouvelle sorte d’intrusion de l’informatique dans le processus électoral pose le même genre de question éthique quant au caractère démocratique et la place laissée au contrôle effectif et efficace par les citoyens-électeurs de la conformité du résultat avec la volonté exprimée dans les isoloirs.
Du point de vue de l’électeur, l’opération de vote n’est en rien modifiée.
C’est une des forces de DepAss : il n’y a pas d’électeur exclu, intimidé, nécessitant une assistance le privant du secret de son vote ou tout simplement d’électeur n’ayant pas exprimé le vote qu’il voulait, distrait ou influencé par l’intermédiaire technique placé entre sa volonté et l’expression de son vote.
D’autre part, à l’inverse du vote électronique où tous les votes sont rassemblés sur un seul et même support informatique, les bulletins de vote (papier) sont déposés dans des urnes distinctes pour chaque niveau de scrutin (communal, provincial, régional, fédéral ou européen).
Néanmoins, le fait que DepAss puisse être utilisé à l’insu des électeurs est un grand danger pour la démocratie. En effet, alors qu’avec le vote électronique l’électeur est immédiatement confronté à la technologie et amené à se poser les questions de fiabilité et de légitimité du système utilisé, avec DepAss il ne se rend compte de rien. [1] [2]
Ce qui s’est passé en 2012 avec le système DepAss est d’autant plus grave que le système a été utilisé sans avoir fait l’objet du moindre encadrement, du moindre contrôle et, malheureusement, d’aucune modification de la loi électorale par les autorités compétentes. [3]
Ce qui est le plus étonnant est que les responsables des communes ont cru le fournisseur (premier intéressé à la cause) et que tous les présidents de bureau semblent avoir accepté d’utiliser ce nouveau système sans se poser de questions. Les présidents de bureau sont vulnérables et ne font que suivre en toute bonne foi les instructions et les formations qui leur sont données même si celles-ci sont en totale contradiction avec la législation en vigueur. Ceci a par exemple été constaté en 2006 à Ixelles où la commune a inventé une dangereuse nouvelle façon d’utiliser les vieux ordinateurs de vote. Il faut protéger le processus électoral en dissuadant ceux qui tentent d’estomper la norme. [4]
Au-delà de la façon "sauvage" avec laquelle DepAss a été introduit dans le système électoral, concentrons-nous sur son fonctionnement afin de tenter de voir si ce système est (ou peut être) sous le contrôle effectif et efficace des citoyens électeurs. Demandons-nous si les témoins partisans et autres personnes présentes dans le bureau de vote sont en capacité de repérer une fraude ou un dysfonctionnement du programme.
Sans avoir pu pratiquer en tant qu’assesseur ou observer en tant que témoin un dépouillement avec le système DepAss, on peut malgré tout facilement imaginer qu’une collusion de deux assesseurs, un dans chaque équipe de dépouillement, peut décider de modifier de façon systématique ce qui est dicté ou encodé. Par exemple, un vote pour tel parti sur deux on rajoute une voix de préférence pour tel candidat. Tant que les deux équipes appliquent la même règle, le système DepAss ne détectera pas les erreurs intentionnellement identiques.
Inversement, si le système DepAss est programmé (erreur ou fraude) pour modifier d’une certaine façon un certain pourcentage des votes, il y a actuellement très peu de chance que cela puisse être détecté d’une façon ou d’une autre. Le système étant supposé permettre de détecter et corriger les supposées erreurs humaines, on se fie totalement a lui. Rien n’est en effet prévu pour détecter les erreurs du programme. [5]
Le risque de fraude informatique est d’autant plus grand que le système DepAss n’étant pas du ressort du collège des experts (chargé d’observer le vote électronique), aucun contrôle expert (qui ne remplacera jamais le contrôle citoyen) n’est exercé sur les logiciels réellement utilisés le jour de l’élection. [6]
L’électeur a le droit à la transparence totale sur la façon dont son vote va être encodé, compté, totalisé ainsi que sur la manière de transporter les résultats. Ce droit a été acquis lors de procédures en justice pour obtenir la transparence administrative initiées par des membres et sympathisants de PourEVA. [7]
Mais tous ces contrôles techniques (audit, agrément, publication préalable, contrôle des experts...), sans doute pleins de bon sens, ne rendent toutefois pas le système plus contrôlable par n’importe quel citoyen. Pour pouvoir vérifier le bon fonctionnement des logiciels, le plus simple serait pour les assesseurs de pratiquer un audit du résultat fourni par le système DepAss. Pour cela, il suffit de recompter les bulletins de vote et de comparer le résultat obtenu.
Pour éviter de tout recompter, ce qui réduirait à néant l’intérêt du système DepAss, nous proposons deux solutions de contrôle citoyen effectif et efficace du résultat.
1) Vérification préalable par tri et comptage de la répartition des votes par liste.
Comme le prévoit la loi sur le dépouillement du vote papier, il convient impérativement de commencer par trier les bulletins par liste et de compter le nombre de bulletins pour chaque liste ainsi que le nombre de bulletins blancs et nuls. Les chiffres obtenus serviront de référence. Une fois ce premier dépouillement effectué et porté au PV, on peut alors passer par le système de dépouillement assisté qui devrait, logiquement, donner exactement le même résultat en termes de répartition par liste.
2) Audit a posteriori du nombre de votes de préférence de certains candidats.
A la fin du processus de Dépouillement Assisté et avant la validation et l’envoi des résultats et des PVs, il convient de vérifier le bon fonctionnement au niveau des votes de préférences de ce système. Pour ce faire, il suffit de prendre dans chaque liste un ou plusieurs candidats (par exemple les deux ayant obtenu le meilleur score de leur liste ou un résultat interpellant) et de compter manuellement sans assistance leur score individuel pour confirmer le résultat obtenu avec l’assistance.
Dans les deux cas, les résultats du comptage citoyen et les éventuelles différences doivent être mentionnées au procès verbal du dépouillement. La priorité absolue doit être donnée au résultat obtenu sans assistance, les différences doivent être analysées et rapportées aux experts pour de plus amples investigations. La règle de base doit être qu’en cas de divergence mettant en doute le bon fonctionnement de l’assistance informatique, un dépouillement total traditionnel doit être entrepris sans utiliser l’assistance informatique. [8]
Une possibilité alternative d’audit citoyen du bon fonctionnement de l’assistance au dépouillement existe, mais elle demande une légère modification des logiciels utilisés. Après le premier tri des bulletins blancs ou nuls, l’ensemble des bulletins valables sont répartis en 10 piles de taille équivalente. Ensuite, une des piles, choisie aléatoirement par le bureau, est dépouillée traditionnellement avec soin et le résultat soigneusement noté. Ensuite, les 10 piles sont dépouillées au moyen de l’assistance informatique. Le programme modifié donne et imprime les résultats intermédiaires de chacune des piles ainsi que l’addition des 10 piles. A aucun moment, l’assistance au dépouillement ne sait quelle pile a été préalablement dépouillée traditionnellement. Le résultat informatique (avec assistance) et le résultat du dépouillement traditionnel sont comparés. En cas de divergence, le problème est remonté pour investigation, mais cette divergence confirmée déclenche immédiatement un dépouillement total des bulletins du bureau de façon traditionnelle.
Avec l’ensemble de ces mesures, un contrôle effectif et efficace du résultat du bureau de dépouillement peut être possible. Les contrôles doivent être obligatoires, inscrit dans la loi et toujours déclencher une enquête et un dépouillement traditionnel en cas de divergence, étant entendu que dans ce cas le résultat obtenu par les citoyens est le seul valide.
[1] Revendication #1: L’électeur doit être personnellement informé, par exemple sur sa convocation électorale, du système qui sera utilisé pour voter et pour dépouiller chacun de ses votes.
[2] Revendication #2: La liste des communes et bureaux du dépouillement précisant le système de vote et de dépouillement utilisé pour chaque élection doit être préalablement publiée par le ministère de l’intérieur.
[3] Revendication #3: Aucune modification ne peut être apportée sur la façon d’exprimer son vote, dont celui-ci sera transporté, dépouillé et les résultats transmis sans que cela ne fasse l’objet d’une modification de la loi électorale elle-même ayant fait l’objet d’un réel débat démocratique.
[4] Revendication #4: Toute modification de la façon dont les élections sont pratiquement organisées qui s’écarte de ce que dit la loi doit être sanctionnée, que celle-ci soit le fait de société privée, d’entité publique ou de personne morale.
[5] Revendication #5: Tout système informatique, matériel ou logiciel, utilisé lors des élections, doit faire l’objet d’un audit aux critères précis. Cet audit doit servir de base pour l’agrément de son utilisation. Il doit être fourni au collège des experts et être rendu public.
[6] Revendication #6: Tout système informatique, matériel ou logiciel, utilisé lors des élections, doit être automatiquement dans le champ du contrôle du collège des experts qui fera rapport sur ce qu’il a constaté.
[7] Revendication #7: Le code source, les analyses, la documentation, les rapports d’expertise et tous les éléments permettant d’analyser et de vérifier le bon fonctionnement des logiciels doivent être rendus public et la conformité entre le code source publié et la version des programmes utilisés doit être certifiée par le collège des experts.
[8] Revendication #8: Un audit citoyen effectif et efficace, à priori pour la répartition des votes entre listes et à posteriori pour un nombre significatif de candidats doit être entrepris dans chaque bureau de vote où l’assistance au dépouillement est utilisée. En cas de divergence de résultat confirmée, le comptage citoyen doit l’emporter sur les résultats fournis par l’assistance au dépouillement. Toute divergence doit être investiguée et doit déclencher le recomptage complet de façon traditionnelle.